Les photographies qui composent la série Traces du toucher exhibent des formes métalliques, droites, courbes ou
sphériques. Leurs contours se distinguent immédiatement au travers des couleurs vives qu'elles arborent : couverture lisse et
brillante, couches de peintures superposées et posées au pistolet.
Au second plan apparaît l'espace urbain, rue, escalier, place publique ou terrain de sport, dans lequel ces formes
géométriques se situent, et l'on peut ainsi aisément retrouver les usages qui leur sont assignés : délimitation des espaces, soutien
ou entretien des corps. Ces formes contribuent à réguler le langage corporel citadin, elles offrent ou imposent des points de
contacts ponctuels, parfois simplement effleurés et d'autres fois fermement pressés.
Il s'agit le plus souvent de formes arrondies que la main épouse, enserre, sur lesquelles elle frotte et ripe sans doute
également. La répétition de gestes effectués par des mains et des corps anonymes déshabille progressivement les couches de
peinture qui couvrent le métal et laisse apparaître ponctuellement sa surface polie. Dans certaines images, la forme régulière des
contours des couches de peintures superposées permet d'imaginer l'activité de la main sur l'objet, la répétition d'un geste, le
mouvement du corps qu'entraîne le glissement de la main. L'intégrité physique et esthétique de l'objet est ainsi progressivement
attaquée par l'intimité des relations que les corps établissent successivement avec l'objet. Les aspérités et les contours des couches
de peinture creusées par la main se font à leur tour sentir sous la paume et les doigts d'une main nouvelle, et l'on communie alors,
à rebours et le temps d'un instant, avec les milliers de mains qui conduisirent patiemment à la corrosion de la peinture.
Loin de l'instantanéité, la photographie montre ici un temps vertical, étiré et indéfini, que chaque toucher creuse et
prolonge un peu plus. La répétition des gestes et la succession ininterrompu des corps demeurent suggérées par les traces qui
constituent les indices d'une historicité de l'expérience citadine. La photographie de la main d'une sculpture jouit néanmoins d'un
statut particulier. Corps touché et image du corps qui touche, elle indexe chaque trace photographiée aux corps et aux contacts qui
les ont produites.
Mathieu Corp - juin 2020
Mathieu Corp est docteur en Sciences de l’information et de la communication. Il étudie les rapports entre art et histoire dans les
arts visuels latino-américains contemporains et examine les conditions de significations des images eu égard aux discours et aux
dispositifs qui les médiatisent. Il a participé à des colloques internationaux et a publié ses travaux dans différentes revues
universitaires.